Le site mytraffic, qui étudie les flux piétons, vient de publier le palmarès des quartiers les plus dynamiques de France (hors Paris) : la première place de ce classement revient à Bordeaux et son emblématique quartier Sainte Catherine. Soucieuse d’étudier avec précision les données concernant les centres-villes, la chargée de mission de l’association Vivre Montpellier Métropole s’est rendue à Bordeaux pour enquêter auprès des commerçants…
1,3 million de passages mensuels moyens en 2021
Selon le palmarès mytraffic, le quartier le plus dynamique de France est le quartier Sainte-Catherine Haut à Bordeaux avec 1,3 million de passages mensuels moyens en 2021 (arrive en deuxième position le quartier Alsace-Lorraine à Toulouse avec 900 000 passages mensuels moyens en 2021 et en troisième position le quartier Cordeliers à Lyon avec 2,5 millions de passages mensuels moyens en 2021). Les raisons qui expliquent ce dynamisme selon le rapport mytraffic : une hyper densité commerciale (230 commerces sur 1,2 kilomètres), une image de marque internationale, un tram efficace et apaisé, une communauté active de commerçants, une ville embellie par l’urbanisme (classée à l’Unesco), l’effet TGV (depuis 2017 la LGV relie Paris à Bordeaux en deux heures) et un quartier piéton depuis 40 ans. Il faut par ailleurs savoir que depuis l’arrivée de la nouvelle équipe municipale, l’objectif de la métropole est de réduire davantage la place de la voiture en centre-ville. Si on en croit ce palmarès mytraffic, cette politique fonctionne et permet de drainer du monde en centre-ville, Sandrine Jacotot, adjointe au commerce et à l’artisanat à Bordeaux l’assure « la prise de température dans la ville se fait en permanence auprès des habitants et des commerçants. Le comptage piéton est prioritaire, car il permet notamment de rassurer les commerçants sur les visiteurs effectivement présents dans le centre-ville. Le comptage permet de vérifier de manière objective que tous les commerçants bordelais sont satisfaits d’une part, et de mettre en avant les quartiers moins fréquentés d’autre part. »
Et sur le terrain… qu’en pensent les commerçants ?
Arrivée à Bordeaux un jeudi après-midi, je me dirige dans un premier temps cours d’Alsace Lorraine. Je choisis d’entrer dans une mercerie, « Passe-temps », ici on vend des aiguilles, du fil, mais aussi des machines à coudre et sur les ventes de ce dernier produit, la politique de la métropole visant à « apaiser » les quartiers a un impact direct commente Véronique, gérante du magasin « toutes les grandes artères passent à sens uniques, les gens sortent de la ville mais n’y rentrent pas, donc on a moins de monde, notamment moins de monde qui vient acheter des machines à coudre. Les gens le disent, « le centre-ville c’est compliqué » ». Selon cette commerçante, quand le pont de pierre a été coupé à la circulation, les clients de l’autre rive ont cessé de venir… Plus loin, une boutique qui vend des produits de coiffure abonde dans le même sens « les gens n’ont plus envie de venir en ville et le chiffre d’affaires s’en ressent » souligne une employée… A quelques pas de là, rue Sainte Catherine, le constat est mitigé, dans certaines boutiques on ne sent pas l’impact de cette politique de réduction de la voiture en ville, dans d’autres, comme dans ce magasin de chaussures, l’adjointe est claire « les clients automobilistes ne viennent pas parce que le parking est payant, moi la première, je n’ai pas envie de prendre les transports et mes amies non plus, du coup on va sur le bassin plutôt qu’en centre-ville ». Le principal espoir de relance du chiffre pour cette trentenaire, c’est l’annonce de 51 bateaux de tourisme qui vont faire escale à Bordeaux cet été…
Le soir, je dîne Chez Julien, le bar à vin qu’ un parisien qui a ouvert juste avant le covid dans ce qu’on appelle « la rue des élus », rue Bouffard très exactement. Julien l’affirme, la clientèle de périphérie ne vient plus en centre-ville, auquel elle préfère les centres commerciaux de périphérie « après la rocade, les girondins restent chez eux, sauf le week-end alors qu’avant, le centre-ville travaillait tout le temps ».
Vendredi matin, petit tour au marché des Capucins… Je m’arrête chez Matthieu, ostréiculteur, comment vont les affaires pour lui ? « La clientèle de l’extérieur de la métropole ne vient plus le dimanche » me confie-t-il… Plus tard, à nouveau cours d’Alsace Lorraine, j’entre dans une boutique d’ameublement décoration, on m’envoie discuter avec la responsable du magasin qui répond très clairement à la question sur la fréquentation du centre-ville de Bordeaux, et elle a beaucoup de choses à dire « comment voulez-vous que les gens viennent en ville ? Le tram c’est une galère. Les parkings relais sont pleins le matin, moi je prends le tram pour venir au travail et certains matins je dois attendre qu’une place se libère… donc si je ne travaillais pas en ville c’est un effort que je ne ferais pas ». D’autant que les clients de ce magasin sont amenés à faire des achats volumineux explique l’employée, impossible de transporter un fauteuil en tram, à vélo ou à pied… « parfois les gens se garent au parking tram, se baladent, achètent un fauteuil, mais le temps qu’il aillent récupérer leur véhicule, la boutique a fermé… » Pour A., réduire la place de la voiture en centre-ville, c’est le tuer car les boutiques ne tiennent pas avec une clientèle de proximité, « par contre ça alimente bien les zones commerciales autour, comme Bègles… avant de Bouliac on mettait 20 minutes pour venir en voiture en ville, maintenant c’est 45 minutes » et à l’employé de poursuivre « la clientèle à fort pouvoir d’achat qui habite le bassin d’Arcachon ou qui venait même de Libourne ne vient plus, déjà avec les gilets jaunes, le covid, les manifestations les gens ont perdu l’habitude de venir, mais maintenant ils ont changé d’habitude ».
Plus tard, je me balade rue Sainte-Catherine et entre dans une épicerie fine qui propose des spécialités basques. La boutique est belle, le personnel avenant, mais quelque peu déprimé. Installée depuis un an, la boutique ne rencontre pas le succès escompté « oui il y a du passage dans cette rue mais la clientèle à fort pouvoir d’achat n’est pas au rendez-vous, nous pensons à déménager » explique l’employée qui me conseille d’aller voir le marchand d’art à deux pas de là, rue Ayres. Installé depuis 30 ans, Rolland dresse un triste constat « la clientèle s’éloigne du centre-ville car il n’y a pas assez de parkings, donc dans les périodes commerciales importantes, les gens qui viennent de l’extérieur, ceux qui vivent à vingt kilomètres, au lieu de prendre le tram, ils vont ailleurs ». Dans sa galerie d’art ethnographique, ce passionné vend des objets de toutes tailles, certaines pièces sont lourdes, valent des dizaines de milliers d’euros, et doivent être transportées en voiture « la mairie m’a refusé cette année la carte permettant de baisser les bornes » cela contraint fortement la clientèle de Rolland, qu’il a constitué depuis 30 ans…
Ce qu'en dit la métropole
Pour aller plus loin dans mon enquête, j’ai demandé un rendez-vous avec Sébastien Dabadie, adjoint à la direction générale des mobilités à la métropole de Bordeaux, je l’ai questionné notamment sur les conséquences de ces mesures sur la mobilité, lui se veut rassurant « les commerçants dès qu’on touche au plan de circulation [disent] « ça va être le drame » « je vais perdre toute ma cliente » eux on sait que dans 95% des cas, c’est pas le cas… ils ne perdent pas d’activité… ». Quand je lui parle de la grogne des commerçants qui affirment perdre du chiffre d’affaire, voilà sa réponse « Bordeaux il y a 20 ans, le samedi et le dimanche il n’y avait pas un chat dans la rue il n’y avait personne… les gens allaient sur le bassin d’Arcachon, dans les centres commerciaux… le samedi et le dimanche, là, la rue Sainte Catherine, c’est la bousculade… et donc l’attractivité du centre-ville a plutôt beaucoup augmenté… grâce au fait que c’est plus sympa de se promener à pied maintenant que ça ne l’était avant et il y a une bonne desserte… le niveau de congestion va être le même mais par contre la répartition n’est plus la même, petit à petit, la congestion s’éloigne du centre-ville et par contre le centre-ville ça circule bien… sur les boulevards c’est un peu difficile depuis qu’on a enlevé une file mais ça va s’arranger (…) le week-end nos parcs relais sont plus pleins que la semaine… donc il y a bien des gens qui viennent de l’extérieur et puis les centres commerciaux ont un peu perdu de leur attractivité…» Sébastien Dabadie se veut donc confiant quant à la politique de mobilité mise en place dans la métropole (entretien complet à retrouver ici).
Qui a raison ? Comment la situation va-t-elle évoluer ?
Je quitte Bordeaux quelque peu dubitative : il semble que deux réalités s’affrontent : celles des élus, de certains chiffres (la fréquentation piétonne est, en termes de chiffres, bonne à Bordeaux) et celles des commerçants, qui ont eux, d’autres données et des chiffres d’affaires en baisse.
Si on revient au palmarès mytraffic, on note que parmi les critères de réussite des quartiers dynamiques apparaît : « entretenir un dialogue permanent entre tous les acteurs du quartier ». Echanger, concerter, prendre en compte tout le monde, serait-ce donc ça, la clef de réussite d’une politique de mobilité ?